- AUSTRALIENS (ABORIGÈNES)
- AUSTRALIENS (ABORIGÈNES)L’étude des aborigènes australiens a largement contribué à la formation des sciences anthropologiques.Les éléments archaïques de leur type racial ont pu faire supposer une relation avec l’homme du Paléolithique supérieur (et même, selon certains, du Paléolithique moyen). À l’intérêt que présentent certains aspects de leur culture matérielle, rudimentaire, et de leur genre de vie s’ajoute la certitude de leur très grande ancienneté. Si l’isolement dans lequel ils se sont maintenus sur le continent australien paraît moins grand qu’on ne l’avait d’abord supposé, ils se sont développés en vase clos beaucoup plus que toutes les autres sociétés qui peuvent leur être comparées.Les modalités de leur division en groupes, leurs règles matrimoniales, leur culte et les manifestations totémiques qui s’y rattachent ont permis l’élaboration des différentes théories du totémisme. La population des Arunta constitue un bon exemple de cette richesse et de cette complexité; elle a, depuis longtemps, attiré l’attention des ethnologues.1. OriginesLes aborigènes australiens ont la peau foncée, couleur brun chocolat. Légèrement ondulé ou frisé, leur cheveu est noir, mais dans les régions semi-désertiques, les enfants ont souvent le cheveu blond-roux. Le système pileux, facial et corporel, est généralement abondant. Presque dolichocéphale, l’aborigène australien a le front fuyant, de profondes cavités temporales, les yeux très enfoncés, la racine du nez fortement en retrait sous des arcades sourcilières proéminentes. La base du nez est aplatie et évasée, la bouche large, les lèvres habituellement épaisses mais non éversées; le prognathisme est commun. La taille moyenne des hommes est de 1,70 m environ, celle des femmes étant inférieure de dix centimètres. Leur charpente est longue et étroite.Sur l’origine de ces populations, trois théories ont été proposées. Des ressemblances dans la forme du cheveu et dans sa distribution, ainsi que certains caractères de la structure osseuse de la tête, ont suggéré que les aborigènes étaient des représentants d’une race caucasoïde ancienne, c’est-à-dire des Européens primitifs. L’analyse des groupes sanguins ne corrobore pas la théorie d’une origine caucasoïde. Mis à part l’influence mélanésienne dans le Nord-Est, les aborigènes ne possède jamais le groupe B, constant en Europe, et l’antigène S, commun lui aussi en Europe (77 p. 100). 27 p. 100 des aborigènes appartiennent au groupe A contre 45 p. 100 des Européens, et, parmi ces 27 p. 100, tous sont du groupe A1 – le groupe A2, fréquent en Europe, étant absent d’Australie et même du Pacifique. Plus encore, la fréquence du groupe O chez les aborigènes (73 p. 100) excède de façon assez significative celle de l’Europe occidentale qui n’atteint pas 50 p. 100. Finalement, N est plus élevé chez eux que partout ailleurs, tandis que M et l’antigène Lutheran sont rares. Si les aborigènes et les Européens appartenaient primitivement à une souche commune, la divergence qui s’est opérée dans leur composition sanguine a donc été importante. Cela est vrai aussi pour les empreintes digitales des aborigènes qui diffèrent totalement, par leurs courbes extrêmement serrées, de celles des Européens. Deux autres faits sont significatifs: la morphologie du système musculaire de la face est hautement indifférenciée; la morphologie externe du cerveau des aborigènes est caractérisée par la permanence d’éléments très archaïques (par exemple, les sillons dans le striatum) et par l’insuffisance relative du développement de certaines zones dans les aires du néo-cortex.J. B. Birdsell – et il n’est pas le premier à soutenir cette thèse – attribue une origine tri-hybride aux aborigènes; les premiers occupants du continent auraient été des tasmanoïdes, Negritos à la peau noire et aux cheveux laineux. Ensuite seraient venus des Murrayiens: de couleur de peau plus claire, lourdement charpentés, ils avaient les cheveux plantés droit et ondulés; leurs traits faciaux étaient «rudes, fortement taillés, mais de configuration nettement caucasoïde». Leurs très grandes affinités avec les Aïnous permettraient de les apparenter à certains types du Paléolithique supérieur d’Europe. Dans l’Australie d’aujourd’hui, leur type le moins mélangé subsiste dans les zones du Sud-Est et du Sud. La troisième vague se serait composée de Carpentariens. De peau très foncée, de haute stature, élancés, ils peuvent en apparence être définis comme «extrêmement primitifs, peu différenciés et non blancs». Ce seraient les vrais australoïdes, proches parents des veddoïdes de Sri Lanka et de l’Inde méridionale; les plus représentatifs d’entre eux se trouvent encore au nord et au centre du continent australien. Les trois souches seraient arrivées, chacune à leur tour, durant la quatrième période glacière par le banc de Sahul qui joignait alors la Nouvelle-Guinée à l’Australie septentrionale, et les indigènes actuels seraient le résultat de leur brassage. Les caucasoïdes anciens ne seraient donc qu’une des composantes de la population australoïde, se distinguant des Australiens arrivés plus tard. Le croisement des souches primitives negrito et caucasoïde rendrait compte du type tasmanien. Ces thèses n’ont pas été confirmées par l’analyse hématologique ni par les empreintes digitales. Les différences au sein de la population aborigène peuvent s’expliquer par des processus biologiques sans qu’il soit nécessaire de recourir à une hypothèse triraciale. L’étude des courants marins et des vents démontre que les Tasmaniens pourraient être issus d’un ou de plusieurs groupes de population venus en pirogue de Mélanésie, probablement du Vanuatu, et cette hypothèse s’accorderait mieux avec les données de l’anthropologie physique.La troisième théorie (qui est soutenue par E. Dubois, F. Weindenreich et A. Keith) veut que les australoïdes se soient différenciés dans la région Australie-Malaisie, ainsi que l’indiquent les séries fossiles du Pithecanthropus (homme de Java), de l’Homo soloensis , de l’Homo Wadjakensis , de l’Homo Talgai (Queensland du Sud-Est), et comme l’indiquent aussi les aborigènes australiens. Ces australoïdes se seraient ensuite répandus au nord et à l’est, vers la péninsule Malaise, l’Inde méridionale et Sri Lanka, la Mélanésie et enfin l’Australie. Isolés sur les terres australiennes, ils auraient conservé leur type caractéristique, cependant qu’en Nouvelle-Guinée et en Mélanésie ils ont été submergés par de nouvelles vagues d’immigrants appartenant à des groupes sanguins différents.On ne peut dire si c’est au cours d’une ou de plusieurs périodes que les aborigènes sont arrivés en Australie, mais leur migration s’est probablement faite par le banc de Sahul aujourd’hui immergé ou, à défaut de voie terrestre, par radeaux et pirogues. Ils apportaient avec eux une espèce de chien, le dingo. On trouve des îlots où survit une langue australienne commune, qui n’est pas nécessairement celle de l’origine, dans la péninsule du cap York et le nord-est de la terre d’Arnhem. Les aborigènes ignoraient la culture des plantes, et comme il n’existait pas en Australie d’animaux se prêtant à l’élevage, ils trouvaient leur subsistance dans la cueillette et la chasse. Leurs déplacements étaient toutefois limités par la pénurie d’eau. Leur accroissement les obligea donc à constituer des sous-groupes pour chercher de nouveaux points d’eau: les «sentiers» des héros mythologiques et les actuelles voies de commerce indiquent les directions qu’ont dû suivre ces migrations.En 1788, la population totale avoisinait 350 000 individus – 150 000 seulement d’après certains – répartis en quelque 500 tribus dont chacune possédait un territoire défini, une langue ou un dialecte. Certaines de ces tribus ont à vrai dire affirmé des caractères très particuliers.Les études archéologiques révèlent une occupation de 30 000 ans ou plus. Après un déclin de 160 ans, le nombre des autochtones non métissés est à nouveau croissant, surtout dans les régions du Centre et du Nord: ils étaient 45 000 en 1966, mais pourraient bien atteindre le chiffre de 90 000 à la fin du siècle.2. Structures socialesLa tribu se compose de plusieurs groupes locaux qui, si les ressources alimentaires le permettent, s’associent la plus grande partie de l’année. Chaque groupe, auquel on participe par la lignée mâle, considère un secteur du territoire tribal comme son «pays», le pays auquel il appartient. Dans leur préexistence, en attendant l’incarnation et la réincarnation, les esprits des membres sont censés avoir toujours séjourné autour du point d’eau où s’établirent, à l’origine, les ancêtres. Pour toujours les seconds fondateurs, ainsi que leurs descendants, sont parents du groupe primitif et de ses descendants, quelque grands que puissent être l’espace, le temps ou différentes les coutumes qui les séparent d’eux. Un système de classification détermine la place de chacun et un code des conduites est établi, basé sur les liens reconnus de parenté indirecte (s’il y en a), sur les liens apparents de générations, sur l’appartenance au clan ou à d’autres groupes sociaux, sur l’affiliation rituelle. Le plus souvent, les relations de parenté sont réparties en deux, quatre ou huit groupes (appelés respectivement moitiés, sections et sous-sections). Ces groupes, qui s’établissent en fonction des règles matrimoniales et de celles de la descendance, sont en règle générale exogames, comme il en va dans les clans. De telles divisions sociales ont pour fonction de fixer les règles de parenté et de déterminer les normes de conduite qui doivent présider aux arrangements entre tribus. Le mariage est tributaire des règles de parenté. Dans la plupart des tribus, un homme peut épouser sa cousine croisée, c’est-à-dire la fille du frère de sa mère, ou la fille de la sœur de son père, mais il ne peut se marier avec quelqu’un de plus proche que la fille d’un cousin croisé de sa mère ou de son père. Le mariage qui a les préférences, et est aussi le plus répandu, est celui entre personnes classées comme cousins croisés du second degré.3. Rites et symboles religieuxConnaissant dans le détail le territoire de leur tribu, les aborigènes savent où et quand trouver ce qui est nécessaire à leur subsistance. Ce savoir se résume en une connaissance approfondie des saisons, dont le nombre varie de cinq à huit selon les régions, chacune laissant normalement espérer l’accès à tel ou tel bien consommable. Les aborigènes font face aux retours constants de la sécheresse et aux aléas alimentaires en intégrant les espèces naturelles et la pluie à leur ordre social et moral. Ils instaurent avec elles une parenté rituelle: au sein de la tribu, chaque groupe n’est pas seulement composé d’hommes et de femmes, mais il est lié par des liens de parenté avec plusieurs espèces (émeu, pigeon, kangourou, etc.). Le groupe (clan) porte le nom d’une de ces espèces, qui est son totem. Ceux qui appartiennent à un totem ne doivent pas lui porter atteinte ou le manger, lui ni aucune autre espèce proche, sauf en cas d’extrême nécessité, et alors s’impose une cérémonie appropriée. En contrepartie, le totem assiste les membres du clan à l’état de veille comme dans les songes, leur transmettant certaines informations et leur rendant des forces en cas de maladie. Les hommes sont de plus répartis en «loges»; chacune d’elles est gardienne de la mythologie, du rituel, des lieux et des symboles associés à une ou à plusieurs espèces naturelles et aux héros ancestraux. Rituellement représenté, le passé devient créateur dans le présent; par lui, l’existence de l’homme et des espèces naturelles est sauvegardée. Les mythes et le rituel, habituellement compris comme un culte totémique, représentent aux yeux des aborigènes une réalité qui exprime la continuité d’une vie indépendante des limites de l’espace et du temps. Réservée aux hommes, l’initiation des membres est une évocation rituelle de la mort et de la renaissance, de l’accession à la vie. On y expérimente symboliquement un passage de l’état d’ignorance à une participation consciente au «rêve», de l’effroi à la sécurité de la vie réelle. Cette expérience se poursuit dans la cérémonie funéraire. Différente suivant les régions, et même au sein d’une seule région, cette cérémonie assure le retour d’un esprit à son «rêve», à sa vraie demeure spirituelle qu’il pourra ensuite quitter pour se réincarner à nouveau. Seuls les Anciens ont l’entière connaissance du «rêve» et, par là, le droit d’exercer le culte. Ils ont, pour la même raison, autorité pour déterminer quelles sont les attitudes sociales justes, car les modèles de ces attitudes préexistent dans le comportement et les institutions des ancêtres mythiques; en fait, ils appliquent aujourd’hui les règles du comportement coutumier qu’ils connaissent tous bien.La mort est attribuée à la sorcellerie, à l’exception de celle des enfants ou des personnes âgées, ou encore de celle qui est due à une arme. Seul le sorcier guérisseur, l’«homme habile», peut extraire le «maléfice», restaurer la confiance et la volonté de vivre. Versé dans les questions psychiques, au surplus connaisseur d’âmes, il entre, au cours de son «apprentissage» ou pendant qu’il «exerce», en relation avec les morts, avec certains esprits totémiques, avec le monde céleste. S’il échoue à guérir, c’est qu’il a été appelé trop tard, que l’intervention magique a été trop puissante (comme dans l’extraction de graisse ou de sang) ou encore que la victime a mérité son sort.4. Une culture liée aux ritesLes mythes et le rituel aborigènes s’expriment dans l’art, la poésie, la musique et la danse. Des chants, poétiques de forme, musicalement bien rythmés et riches de contenu, préservent de l’oubli tous ces mythes; ils revêtent assurément un grand intérêt linguistique. Divers objets symboliques, et même des armes, sont peints ou gravés pour traduire ces mêmes mythes et ils prennent ainsi une signification sacrée; les corps eux-mêmes des acteurs sont rituellement peints. Les gravures ou les peintures exécutées sur la pierre, quelquefois aussi sur écorce ou à même le sol, témoignent que l’action de peindre et de graver est déjà un rite en elle-même. Cependant, on peint parfois pour le seul plaisir; il en va de même des chants et des danses qui se déroulent au camp assemblé pour un corroboree ou en des lieux de réunion secrets. Il existe diverses écoles d’art et de musique et, selon les régions, des différences dans la forme et dans la décoration des outils et des armes. Même le contenu religieux de certains cultes majeurs n’est pas partout identique.Les recherches sur ces populations progressent favorablement en plusieurs domaines. Pour le linguiste, il s’agit de rassembler le matériel oral de tribus presque totalement éteintes, de se livrer à une étude intensive des langages encore couramment utilisés par les tribus, et ainsi de reconstituer la langue primitive, l’australien commun, et de la dater. Les fouilles font remonter l’archéologue beaucoup plus haut qu’il ne s’y attendait: en même temps que l’occupation très ancienne de l’Australie par les aborigènes, elles lui révèlent l’évolution de nombreux objets de culture. L’espoir est permis de découvrir, tant en Australie que dans les îles au nord, des restes de squelettes d’australoïdes archaïques et de parvenir ainsi à déterminer comment se sont déroulées les migrations et comment se sont constituées les populations aborigènes. Un champ très riche s’offre aussi aux musicologues soucieux de suivre le développement de formes musicales originales. L’anthropologie sociale, enfin, aura à fixer la nature et à préciser la fonction d’organisations locales dont la signification reste discutée.5. Une population typique: les AruntaConnue aussi sous l’équivalent phonétique Aranda , cette population du centre de l’Australie (région d’Alice Springs) est particulièrement intéressante pour un ethnologue: elle offre à l’analyse une vie sociale et religieuse complexe. Au début du siècle, les descriptions du missionnaire luthérien allemand Karl Strehlow, et surtout les recherches d’un employé des postes australien, F. J. Gillen, et de sir Baldwin Spencer ont permis d’assembler et de publier une masse très complète de documents sur cette population. Le concept de mariage par groupe, cher à Spencer et Gillen, devait susciter les railleries de certains de leurs successeurs et entraîner dans l’oubli le reste de leur documentation, qui demeure pourtant d’une précision inégalée.Les Arunta devraient être d’autant plus précieux au public français qu’ils ont inspiré l’ouvrage fondamental d’Emile Durkheim, Les Origines du sentiment religieux , qui est le point de départ de la lente maturation de l’ethnologie française; la traduction anglaise, par un de ces retours dont l’histoire a le secret, devait devenir le livre de chevet de la génération d’ethnologues anglo-saxons qui, à la suite de Radcliffe-Brown, se sont consacrés à l’étude des aborigènes d’Australie.La masse de matériaux ainsi recueillis s’est accrue de ceux que T. G. H. Strehlow, fils du missionnaire, a rassemblés, dès 1948, sur le même sujet. Il y a donc largement de quoi légitimer les analyses faites sur les Arunta; divers auteurs ne se sont du reste pas fait faute de s’y livrer, à tel point qu’on s’est un peu lassé du sujet.Les documents recueillis par Spencer et Gillen sont remarquables: ils nous ont laissé en particulier des photographies de rites religieux dont l’approche était pourtant interdite aux non-initiés. Nul n’a mieux rendu la dignité et le caractère altier de ces hommes, nus, longilignes, velus et barbus, infatigables chasseurs et marcheurs.Une existence réglée par des ritesEt comment, en effet, n’être pas déconcerté par eux, ne serait-ce que par leur rite de subincision, qui va bien au-delà de la circoncision. Cette technique, rare s’il en fut, consiste à fendre la verge sur une certaine longueur à partir du méat, laissant ainsi ouvert l’urètre. La verge étant ainsi aplatie en son extrémité et prenant forme de massue, une opération compensatoire d’incision pubienne s’imposait chez la femme.Une chirurgie aussi mutilante, qui pourrait apparaître comme une forme raffinée de torture, vise à donner, au cours des rites, une importance inhabituelle au phallus, que, du reste, on incisera par la suite souvent, de façon superficielle, pour faire couler le sang. On se servait du sang obtenu de la sorte pour coller sur le corps des acteurs et danseurs du duvet d’oiseau (blanc ou précisément coloré en rouge sang), ou pour teindre rituellement en rouge certaines parties de grandes fresques établies provisoirement au sol. À l’occasion de ces derniers rites ou lors des scènes successives auxquelles participaient les acteurs bariolés, le mime, la danse ou la peinture retraçaient les pérégrinations des ancêtres divinisés. Ces rites divers étaient toujours exécutés là même où le personnage éponyme était censé avoir initié les acteurs du drame rituel. En l’espace de plusieurs années, on célébrait ce rite en faisant le tour entier du territoire tribal, une des raisons du changement de lieu de célébration étant précisément de couvrir l’ensemble du territoire de chasse et de cueillette dévolu à chacun des groupes linguistiques: ainsi étaient affirmés à la fois les droits, fonciers, de l’ensemble social et ceux, particuliers, de chacun des groupes.L’aspect obligatoirement formalisé de ces rites et de ces mythes, qui restaient toujours liés au sol, correspond à une tendance profonde de la société Arunta: se donner des modèles de comportement qui justifient la conformité des conduites et par là même permettent à la fois de dénoncer les actes marginaux, ou contraires à la norme, et de fonder une casuistique.Organisation matrimonialeL’organisation matrimoniale à huit classes intermariantes, divisées en deux moitiés matrilinéaires, montre bien les capacités extraordinaires d’abstraction des Arunta. Une représentation satisfaisante du modèle utilisé avait du reste été établie par eux et elle correspondait à la façon même dont ils organisaient leurs campements: un axe et deux sens de circulation opposés, à l’extérieur pour les hommes et à l’intérieur pour les femmes. Il faudra attendre un mathématicien français, le professeur Guilbaud, pour que soit proposée une figure qui représente toutes les possibilités et les impossibilités prévues par ce modèle matrimonial Arunta; cette figure, elle aussi, est circulaire et suppose que les rotations se fassent en sens inverse.L’importance d’un tel système matrimonial réside dans l’automaticité de ses conséquences: rejet de telles femmes dans la catégorie des non-épousables; attribution à telles autres de la qualification d’épouses possibles (soit, du moins selon Radcliffe-Brown, la fille de la fille du frère de la mère de la mère et la fille du fils de la sœur). À ces dernières épouses possibles s’en ajoutent en réalité d’autres: les cousines croisées, la mère de la mère (classificatoire) et la fille de la fille de la fille. De telles «irrégularités» sont si nombreuses qu’il faut bien reconnaître que les ethnologues de l’école de Radcliffe-Brown ont simplifié les choses, de façon à faire coïncider la réalité avec un schéma abstrait. Le fait que les événements ne se déroulaient pas comme des conséquences des principes proposés aurait dû inciter à remettre ceux-ci en question. Il y a là une méconnaissance flagrante de la règle d’interprétation dite des «normes culturelles» (Claude Lévi-Strauss), pourtant reconnue par les informateurs. Une observation de plusieurs années apparaissant nécessaire, il n’est pas étonnant que des erreurs d’interprétation aient pu se maintenir, à partir du moment surtout où l’on se refusait le bénéfice des études antérieures et où les moyens de vérification que l’on se donnait étaient trop limités.Le schéma construit par le professeur Guilbaud permet en revanche de justifier les mariages apparemment aberrants et de vérifier les dires des informateurs. Quoi qu’il en soit, les Arunta n’ont pas fini de faire parler d’eux.
Encyclopédie Universelle. 2012.